Une Friche

Carte : Stéphane Jossart – téchnique mixte – 2020 – 2021

Texte et photographies argentiques : Frédéric Fourdinier – 2020

Stéphane Jossart
Frederic Fourdinier - 1 a

Définitions :

n. f. apparaît au XIIIe S. (1251) ; on y trouve aussi du XIIIᶱ au XVIIIᶱ S. et, encore aujourd’hui dans des dialectes la forme freshe (v. 1280) ou freche (1287). Pour Bloch et Wartburg, le mot serait un emprunt au moyen néerlandais Versh ou Virsh « frais », employé régulièrement avec lant « terre » pour désigner la terre gagnée sur la mer grâce aux digues et destinée aux cultures ; la forme friche viendrait de l’influence des parlers rhénans ou frisch s’appliquait à une terre nouvellement défrichée. P. Guiraud préfère  rattacher le mot fresche féminin de freis « frais », attesté en ancien français au sens de « bien reposé » (de même freschir « restaurer les forces de qqn ») ; la variante friche, frisque « frais » est bien attestée en moyen français 
– Friche désigne depuis l’ancien français une terre qu’on laisse reposer, notamment dans l’expression en friche (v. 1270). Au figuré friche se dit (v. 1460) de ce qu’on laisse sans soins et spécialement d’un domaine intellectuel laissé inexploité.
Dictionnaire Historique de la langue française, Alain Rey 1998

n. f. (moyen néerl. Versch, frais). Terre non cultivée, mais qui l’a été où qui pourrait l’être. En friche, sans culture ; qui n’est pas développée, inculte.
Le Petit Larousse illustré 1985

n. f. (moyen néerl. Versch, frais). Terrain non cultivé et abandonné. — En friche : qui n’est pas cultivé inculte. Friche industrielle : zone industrielle, momentanément sans emploi, en attente de reconversion.
Le Petit Larousse illustré 1994

n. f. (moyen néerlandais Versch, frais) Terrain dépourvu de culture et abandonné. En friche, se dit d’un terrain non cultivé ; se dit d’une aptitude qui n’est pas exploitée. Friche industrielle, zone industrielle momentanément sans emploi et qui peut servir à des implantations d’entreprises.
www.larousse.fr

n. f.  Terre non cultivée. Friche industrielle : terrain qui était occupé par des bâtiments industriels, aujourd’hui à l’abandon. En friche, locution adverbiale et locution adjective invariable : inculte. à l’abandon. Laisser des champs en friche. —  Au figuré, Laisser ses dons en friche, ne pas les employer.
dictionnaire.lerobert.com

Une friche est actuellement un terrain précédemment exploité (champ, prairie, verger, vigne, jardin…), abandonné par l’Homme et colonisé par une végétation spontanée (espèces héliophiles, rudérales). Cette zone sans occupant humain actif n’est plus cultivée, productive ni même entretenue, mais des activités marginales peuvent s’y étendre si ses parties restent accessibles : pâturage, cueillette, braconnage, chasse ou pêche et autres activités.
fr.wikipedia.org 

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Friche Josaphat

50° 51 ‘45 “ N
4° 23‘ 41“ E

Cette ancienne gare de triage d’environ 24 hectares, enclavée dans le tissu urbain de la Région de Bruxelles-Capitale à cheval sur Schaerbeek et Evere, deux des dix-neuf communes située dans la partie Nord-Est de la capitale, se présente dans l’axe Sud-Sud-Est, Nord-Nord-Est, traversée par la ligne de chemin de fer 26 et la scindant en deux parties opposées, approximativement  ¼ – ¾. La plus grande surface était celle accessible, pour une partie, jusqu’au 22 octobre 2020. Délimitée par plusieurs axes routiers, au Nord la rue Auguste De Boeck et son pont, à l’est une voie du même nom desservant une zone d’activité économique et sportive reliant le Boulevard Général Wahis au Sud, à l’Ouest l’avenue Gustave Latinis, l’avenue Charles Gilisquet, rue Arthur Roland et l’avenue Henri Conscience. Sur une carte, cette friche se présente en forme oblongue, charnue et pivotante, en forme de racine de panais sauvage. Ce site racheté à la SNCB appartient désormais à la SAU, Société d’Aménagement Urbaine, qui prévoit d’implanter environ 1600 logements. Sur le panneau d’entrée, on peut lire ces précisions :

Pour répondre aux besoins de la population bruxelloise en matière de logements, le Gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale a décidé de développer sur le site un nouveau quartier mixte et durable. Ce projet fait l’objet de procédures soumises aux dispositions habituelles en matière de publicité, d’enquête publique, de concertation et d’autorisations urbanistique et environnementale.

Les objectifs du Gouvernement régional sont les suivants :

  • construire un nouveau quartier durable connecté aux quartiers qui l’entourent et permettre à tous de profiter de ce poumon vert ;
  • Construire un quartier socialement mixte, avec 45% de logements publics accessibles et 55% de logements privés ;
  • Assurer la qualité de tous les logements (chacun donnant directement sur un espace vert) ;
  • Implanter au fur et à mesure du développement du quartier les équipements nécessaires aux besoins des riverains actuels et des futurs habitants : écoles ; crèches ; infrastructures sportives, de santé, de loisirs… ;
  • Equiper, moderniser et requalifier l’actuel zone d’industries urbaines afin de faire de cette partie du site une zone d’activité économique et un pôle d’emplois à hautes valeurs environnementale et urbaine.

Face à cela, les comités de quartier et l’association « Sauvons la friche Josaphat » s’opposent à l’aménagement du site, ou demandent à ce que le projet soit revu et corrigé dans un esprit plus écologique. La position de l’association que l ‘on lit sur son site internet :  www.sauvonslafrichejosaphat.be

La friche Josaphat se trouve à la frontière entre Schaerbeek et Evere. En ce début de XXIᵉ siècle, ce terrain s’est progressivement transformé en un large réservoir de biodiversité, un des plus importants de la région.

C’est devenu un espace-refuge pour la faune des campagnes environnantes, fragilisées par les activités humaines : épandage de pesticides, minéralisation des sols et transformation de la Flandre en une vaste zone péri-urbaine… Il faut impérativement maintenir et renforcer ces espaces-refuges à Bruxelles.

Le gouvernement bruxellois doit donc tourner le dos aux vielles pratiques de développement urbain ; et opter pour une nouvelle politique de réaffectation et densification des espaces déjà minéralisés, et de protection renforcée de l’ensemble des espaces de biodiversité en ville.
Bruxelles peut et doit jouer un rôle-phare, à l’échelle européenne, dans ce domaine.

La SAU, à la demande de la Région, a autorisé l’occupation temporaire du site à quelques activités :

  • « L’été à Josaphat », organisé par la SAU propose un sentier de promenade sur une périmètre limité de la friche et délimité par une clôture en bois, du 1er août au 22 octobre 2020, comprenant, une buvette, une terrasse, une zone de détente avec des transats et des parasols, pique-nique possible ;
  • La Compagnie Les Nouveaux Disparus, une compagnie, sous chapiteau, œuvrant à l’accès de la culture pour tous dans le domaine du théâtre ;
  • Et, Josaph’air, un regroupement de plusieurs initiatives sur la friche comprenant : Commons Josaphat, FORUM, Recup’Kitchen et Jardin Latinis.
détail

Une Friche, Josaphat

22 septembre 2020, 13h30

J’ai rendez vous avec Stéphane devant la grille d’entrée du site, au numéros 150-152 de l’avenue Latinis, un renfoncement , une sorte de placette peu organisée pour voitures, à deux pas du carrefour qui croise l’avenue Wahis. Entrée large, pavée, terreuse et canalisée par des palissades en bois menant à la compagnie « Les Nouveaux Disparus », et à l’accès « L’été à Jospahat ».

Nous, nous passons sur la gauche entre deux barrières métalliques qui donnent accès au « Jardin Latinis ». Ici se côtoient plusieurs constructions temporaires en matériaux de récupérations pour diverses activités, des bacs en bois hors sol pour la production potagère et quelques containers. Sur la droite du jardin, on peut voir les infrastructures de la compagnie. Tout semble un peu anarchique et précaire, un peu sauvage en fin de compte.

En 2014, l’ensemble de l’ancien site ferroviaire a été recouvert de terre, un remblai constitué de provenances diverses et variées, le tout sur environ un mètre d’épaisseur. Cette jeune couche anthropocène ne semble pas proposer tous les critères d’un respect environnemental, d’où l’usage de bacs pour jardiner. Mais, qu’à cela ne tienne, la nature colonisera.

La traversée du jardin dirige nos pas vers une clôture qui délimite le jardin de la partie non occupée de la friche, le passage se fait au fond à gauche entre quelques arbustes et des hautes herbes. Toute la friche est baignée par la lumière, pas d’obstacles majeurs qui empêcheraient chaque plante de bénéficier des photons que le soleil déverse chaque jour sur notre planète, et cela avec plus ou moins d’intensité suivant la saison. Avant de quitter l’enclos, on croise une sorte quadrupède composé de voliges en bois et surmonté de deux panneaux solaires qui interceptent aussi ces ondes, moins mobile et vivant que les plantes, il trône non loin d’une structure squelettique en bois que la végétation absorbe lentement. Chaque espèce essaye de survivre en tirant le meilleur parti de cette source lumineuse permettant l’existence de la vie sur terre. Par rapport à la sauvagerie de la friche, pour nous, êtres humains c’est plus une question de confort actuellement, du moins pour ceux qui bénéficient de la modernité.

Face à nous, l’étendue libre. Ici, s’expriment les divers règnes ayant droit sur Terre : Archaea, Bacteria, Protozoa, Chromista, Plantae, Mycota et Animalia. Si l’humain arrive à se maitriser et à lâcher prise, le processus qui se met spontanément en place dans une friche, tendra vers une mosaïque forestière, un climax. Il s’opèrera en plusieurs phases successives : installation, prééquilibre, équilibre dynamique, élimination, effondrement. Tout ça à une échelle de temps supérieure à une vie humaine, on parle de plusieurs centaines d’années. Feux, inondations  ou tempêtes, viendront bien sûr perturber le vivant qui se redéveloppera jusqu’à son apogée et sa dégradation, pour générer à nouveau un cycle similaire ou presque. Mais dans le cas de la friche Josaphat, probablement qu’une gestion agro-pastorale pourrait prendre place, sauf si le projet immobilier aboutit, l’opportunité d’une tel dynamique ne sera pas offerte. Actuellement, on est au stade où les plantes pionnières se sont bien installées, un concept techniquement qualifié de « modèle de facilitation ».

Cheminant sur le sentier nord battu par nombre de marcheurs, on longe une zone tampon composée d’arbres, d’arbustes et de ronces denses au travers desquels on distingue les bâtiments du Foyer schaerbeekois et des habitations individuelles. Dans cette lande, aux multiples familles de plantes colonisatrices, le chemin distribue latéralement un réseau de sentiers se dirigeant vers le cœur de la friche. Empruntés par les scientifiques et observateurs du site qui auscultent et recensent la biodiversité, ou parcourue par divers animaux sauvages ou domestiques à la recherche de nourriture ou de partenaires, ces percées conduisent à plusieurs éléments importants composant et dynamisant la friche. Volontairement réalisés par le collectif qui tente de la préserver, on trouve, rayonnant au centre de cet univers, une mare autour de laquelle  gravitent à diverses distances, un nombre important de cairns composés de pierres et de fossiles urbains, ainsi que divers enchevêtrements de branchages. Des refuges et habitats denses pour insectes et vertébrés, des villes dans la ville. Tous ces îlots de vie génèrent des liens entre eux où une multitude d’êtres vivants volent, rampent, courent, marchent, interagissent, communiquent, s’entretuent,… Ce site ne fonctionne pas en vase clos, les connexions et les apports extérieurs viennent autant par voies terrestres, comme le couloir ferroviaire, que par les airs, notamment au moment des périodes de migrations. Cet écosystème produit une énergie colossale qui met la friche dans un état de vibration maximale, chaque saison propose son lot d’effervescences, jour et nuit, sans interruptions, c’est la nature dans sa diversité en pleine expansion, c’est d’elle dont nous venons, d’un tout, du cosmos.

Notre errance dans la friche se poursuivra en une boucle pour ressortir par l’accès premier.

A ce jour, les travaux n’ont pas commencé, car des oppositions diverses remettent en question le projet. Quel avenir pour la friche ? Aucune idée… Dictature du béton et rentabilité ? Possibilité de préserver une parcelle de nature en ville, la vie ? Ou bien l’indétrônable compromis à la belge ? Les politiques devront trancher. Mais ils risquent de choisir pour le site une dénomination technocratique: Espace vert, parc, parc naturel, parc régional, réserve naturelle, réserve intégrale,… qui marquerait une autre forme d’emprise bureaucratique  sur la nature.

Frédéric Fourdinier

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Frédéric Fourdinier
Photographies noir et blanc 2020 – argentique 
(1) Leicaflex  SL2  / focal 50mm / (a) Rolley RPX 100 / (b) Kodak Tmax 100 / (c) Ilford FP4+
(2) Olympus XA2 / focal 35m / Agfa APX400